Qui a la plus longue ? À propos de la signature des mails
L’utilisation de la messagerie électronique est une source inépuisable d’interrogations sur la psychologie des utilisateurs. De la liste de diffusion – et des appels à l’aide récurrents adressés à tous pour demander comment se désabonner – aux transferts de messages et autres copies cachées, les pratiques sont multiples et il en déjà été question ici. Mais une chose avait alors été négligée : la signature des mails.
En faisant une brève recherche, on voit que la signature mail est « un moyen efficace de communiquer votre professionnalisme à vos lecteurs et de leur partager les informations dont ils ont besoin pour vous contacter », « un outil souvent sous-estimé, tant dans sa création que dans son alignement avec l’image de marque de l’entreprise ». Il existe même des outils permettant de créer une signature (et des tutoriels vidéos !), des exemples « originaux et inspirants ». À l’université, il semble que l’on recommande d’éviter les signatures trop longues. Que mettre alors dans sa signature ? L’indication du prénom et du nom ne suffirait pas ? Sans doute que non si on écrit à quelqu’un que l’on ne connaît pas. On peut aussi voir dans la signature une manière de se démarquer, un enjeu de communication permettant de reprendre les codes de son institution (le laboratoire, la faculté, l’université).
Certaines informations fournies sont très utiles. Ainsi, les étudiants ont pris l’heureuse habitude de mettre le diplôme dans lequel ils sont inscrits, voire l’unité à laquelle ils sont rattachés (ce qui permet d’élucider des questions comme « est-ce que le prochain cours est maintenu ? », « quel sera le type d’examen ? », etc.). Ceux-là ont compris que l’enseignant qu’ils ont en face d’eux ne fait sûrement pas un seul cours et qu’il peut arriver qu’il assure plusieurs enseignements. Certains poussent le vice jusqu’à mettre le numéro de la carte étudiant, mais je ne sais pas à quoi cela sert (on peut aujourd’hui facilement consulter les dossiers étudiants, ce qui est parfois très utile). Les personnels administratifs ajoutent quant à eux des informations pratiques comme les jours de présence, l’heure d’ouverture et de fermeture des bureaux, les heures auxquelles les étudiants peuvent venir, voire l’indication qu’un rendez-vous est nécessaire, le diplôme concerné. Pour l’étudiant, cela permet de savoir quand se rendre utilement à la scolarité et éviter de râler parce qu’il a trouvé porte close. Pour l’enseignant, cela permet de savoir de quel diplôme il est question et d’éviter de râler parce qu’il a trouvé porte close. Parfois, on ajoute le numéro de bureau, le numéro de téléphone, autant d’éléments utiles.
Et l’enseignant-chercheur dans tout ça ? Il est un peu à part : les personnes auxquelles il s’adresse avec son adresse institutionnelles sont variées : étudiants, collègues de sa composante, de son université, extérieurs, professionnels, etc. Il est en outre souvent marqué par une envie de faire savoir ce qu’il fait (raison pour laquelle linkedin rencontre un franc succès chez les enseignants-chercheurs). Que mettre alors dans sa signature ? Faut-il en faire une ?
S’il assure des permanences particulières, il peut l’indiquer. Au pire, la chose est incongrue s’il en informe quelqu’un qui n’est pas étudiant. Mais elle permet d’éviter que des personnes trouvent porte close en souhaitant voir l’enseignant en question. Il peut indiquer son bureau, s’il en a un. S’il s’adresse à quelqu’un qu’il ne connaît pas, il peut indiquer son lieu d’exercice. Par exemple, l’université de Lorraine a une organisation particulière puisque, bien qu’unique, elle comprend tout en double : les non universitaires sont souvent surpris (soit ils pensent que, puisqu’il existe deux facultés, c’est qu’il existe deux universités ; soit ils pensent qu’une UFR est une « antenne » de l’autre, ce qui risque d’entraîner d’immenses complications diplomatiques) et l’indication du lieu d’exercice peut avoir une utilité.
L’enseignant-chercheur aime les titres. Il ajoute alors souvent son titre à sa signature : certains indiquent ainsi qu’ils sont professeurs, voire qu’ils sont agrégés des universités (ceux qui ont accédé au professorat par une autre voie ne l’indiquent pas) ; certains indiquent qu’ils sont maîtres de conférences, voire maîtres de conférences HDR (les plus explicites n’utiliseront pas l’acronyme). Le titre peut être féminisé (« professeure » est répandu, « maîtresse de conférences » me semble l’être un peu moins). Faut-il ajouter sa spécialité et, si oui, laquelle ? Doit-on se contenter de l’indication de l’intitulé de la section CNU ? Les collègues de « droit public » sont ainsi plus concis que ceux de « droit privé et sciences criminelles ». Faut-il ajouter la matière privilégiée, à l’image des spécialisations ou activités dominantes des avocats ? Mais si oui, laquelle ? Chez les privatistes, on voit rarement quelqu’un mettre « professeur / maître de conférences de droit des obligations », quand la mention « droit pénal » ou « droit social », voire « droit de la santé » ou « droit de l’environnement » semblent plus fréquentes. Enfin, entre personnes qui se connaissent, on peut s’attendre à ce que la signature soit allégée, voire carrément absente.
Habitudes bibliométriques obligent, on peut avoir tendance à ajouter le nom de l’université et celui du laboratoire – et surtout sa précieuse numérotation ! Ces informations ne sont pas toujours pertinentes. L’avocat ou le magistrat destinataire n’en a pas grand-chose à faire de l’HDR ou du mode de recrutement de l’expéditeur et il se préoccupe assez peu de la numérotation du laboratoire (cryptique, il faut le reconnaître). Pour l’universitaire fraîchement arrivé que personne ne connaît, ces indications peuvent être une manière de montrer qu’on fait partie de la maison. Lorsqu’elle est employée avec les #cherscollègues, la signature et l’indication des titres peuvent matérialiser un mode « passif-agressif » permettant de rappeler que, enfin, on n’est pas n’importe qui. Un tel usage sera rarement pleinement assumé. On peut toutefois se dire que si l’expéditeur sent le besoin de rappeler qu’il n’est pas n’importe qui, c’est peut-être parce qu’un doute peut subsister malgré tout.
D’autres usages peuvent sans doute avoir lieu. Se pose par exemple la question de savoir si la signature du mail doit être le reflet des activités de l’expéditeur et, le cas échéant, de quelles activités : jusqu’où pousser la précision ? On peut indiquer par exemple une page personnelle ou un site, comme une carte de visite qui en dirait un peu plus. Pour ce que j’en connais, la chose semble assez répandue en informatique ou en économie et j’ai même l’impression qu’elle est plus importante lorsque la personne concernée a une approche internationale. L’indication de l’url, outre qu’elle n’alourdit en rien la lecture, permet au curieux d’aller regarder s’il le souhaite sans annoncer à renfort de tambours et trompettes les différentes activités. Faut-il mettre autre chose ? On peut se dire que si l’on écrit en tant que directeur de diplôme, à de futurs intervenants dudit diplôme, il n’est pas incongru de le préciser : dès lors que l’on s’adresse ès qualités à une personne, autant le préciser. Ça évitera à cette dernière l’inconfort de ne pas savoir qui lui écrit. Mais il arrive souvent que des collègues préfèrent indiquer toutes leurs qualités. La signature du mail est alors au moins aussi longue que le mail lui-même. On sait tout de la qualité, du lieu d’exercice, du laboratoire de rattachement, mais également du ou des diplômes dirigés ou codirigés, quels qu’ils soient. On est ainsi heureux d’apprendre que le collègue qui répond à une sollicitation pour un examen, par exemple, est par ailleurs codirecteur voire directeur-adjoint du diplôme universitaire de droit des aménagements locaux en bord de fleuve et du master mention trucmuche. Pour peu qu’il soit par ailleurs membre d’un comité quelconque ou d’un service de labellisation de la certification pédagogique distancielle, l’indication sera portée. Membre du conseil de faculté ? Membre du sénat académique ? Vice-président du comité d’aide aux usagers ? On arrive rapidement à des signatures incongrues de 8 lignes et plus où alternent le gras et l’italique.
Il y a toujours un effet d’amusement dans ce déballage des missions et fonctions car on se demande forcément pourquoi tout ceci est indiqué. Peut-être que l’expéditeur envisage ces alignements comme des rangs de médailles d’un chef militaire ; peut-être qu’il y voit le moyen de rappeler qu’il est très occupé ; peut-être qu’il s’agit d’un souci d’exhaustivité ; peut-être qu’il s’agit d’une volonté de prouver que l’on existe et qu’on est là ; peut-être qu’il ne s’agit de rien du tout de particulier et qu’il est temps de prendre des vacances !
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Baptiste THIERRY (15 juillet 2024). Qui a la plus longue ? À propos de la signature des mails. Sine lege. Consulté le 21 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/120qj
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